CHAPITRE XII

- Eh bien, François. Ça y est. Je m´en vais.

- Thérèse, je veux te remercier pour tout ce que tu as fait. Tu as été magnifique et je t´aime beaucoup.

- Je n´ai fait que mon travail. Moi aussi je t´aime beaucoup et une bonne amitié n´est jamais de trop. Prends bien soin de toi.

- Toi aussi Thérèse. Tu me manqueras. N´oublie pas, si tu as besoin de quelque chose tu n´as qu´à venir ou me passer un coup de fil.

Elle m´embrasse sur les joues ; s´en va sans se retourner. A l´instant où elle sort je me souviens que j´avais préparé un chèque pour elle, pour ses vacances. Je vais jusqu´à la fenêtre. Je les vois toutes les deux entrain de se serrer la main. Thérèse regarde vers le haut, me voit. Fait un geste d´adieu.

Moi, je reste sans bouger, mon chèque à la main.

* * *

Julie revient. Dès la première minute je la tutoie. Elle est encore si jeune et en plus ça m´épargnera la peine de changer de traitement plus tard.

Je lui dis de refaire le tour de la maison, de bien vérifier où tout se trouve et, comme nous allons passer beaucoup de temps ensemble, de se mettre à l´aise. De se sentir comme chez elle. Règle absolue : surtout pas d´uniforme.

- Comme tu sais déjà quoi et comment faire, nous allons sortir. Je vais te montrer où est le journal, le restaurant à côté du pont et deux ou trois endroits où nous irons assez souvent.

D´autre part, Thérèse a dû sûrement te le dire, mais je te le répète, si quelqu´un m´appelle tu diras, systématiquement, que tu ne sais pas si je peux prendre la communication. Que tu vas voir. Excepté pour trois personnes. Ma secrétaire, Chantal, le docteur Jean-Pierre qui est un grand ami à moi et Luc, le kiné, qui vient généralement l´après-midi, deux ou trois fois par semaine.

À part celà, tu fais ce que tu veux. Tu lis, tu regardes la télé, ce que tu auras envie. Ok ?

Elle me dit qu´elle a bien compris. Je prends mon attaché-case et nous partons. En bas, je lui demande quelle est sa voiture. Elle me répond qu´elle n´en a pas. Je suis surpris.

- Tu n´es pas descendue prendre des affaires dans la voiture ?

- Si. Mais c´était dans la voiture de Thérèse.

Je lui dis de remonter à la maison et d´appeler un taxi. Pendant que nous attendons, je lui demande où elle habite. Ce n´est pas vraiment la porte à côté. C´est un problème qu´il va falloir résoudre. Je ne veux pas qu´elle soit trop loin au cas où j´aurais besoin d´elle ou que cela puisse servir d´excuse pour arriver en retard.

Elle ajoute qu´elle vit dans un appartement avec deux collègues et qu´elle essaie de trouver un studio, pour elle seule, car elle en a assez de ne pas avoir vraiment d´intimité, d´espace bien à elle.

- Écoute Julie, comme je ne peux pas conduire, tu vas prendre ma voiture pour te déplacer. Ainsi tu seras à l´heure et tu n´auras pas de problème pour rentrer. D´ailleurs, pour faire les courses et tout le reste, il est bien préférable que tu commences à t´habituer à la conduire dès maintenant. Mais il va falloir que tu t´en occupes entièrement ; essence, huile, tout.

- Merci beaucoup. Je m´en occuperai comme si elle était à moi. Ce que les copines vont être jalouses !

* * *

- Allô !

- Jean-Pierre ? C´est moi.

- Salut toi. Comment vas-tu ?

- D´une part, assez bien et par ailleurs avec pas mal de problèmes. Qu´est-ce que tu deviens que je ne te vois plus ?

- J´ai un boulot monstre en ce moment. Je n´ai presque pas le temps de rentrer chez moi.

En plus, pour tout arranger, je vais avoir un congrès dans quelques jours que je ne peux pas manquer.

- Je ne veux pas te déranger mais si tu avais une petite minute pour que nous puissions causer ...

- Ami, pour toi il y a toujours du temps. Quand est-ce que tu veux que nous nous voyons ?

- Tu vois ce qui te convient le mieux.

- Dans une heure je vais passer chez moi. Embrasser la famille, prendre une douche, me changer et préparer la documentation pour le congrès. Pourquoi ne passerais-tu pas ?

Dis à Thérèse de t´emmener.

- Thérèse est partie.

- Elle est partie ? Comment ça ?

- Fatiguée, avec des problèmes personnels et je ne sais pas quoi d´autre.

- Tu sais, les problèmes personnels elle les a depuis assez longtemps. Depuis la mort de son mari, peut-être même avant. D´après ce que je crois savoir l´entente entre eux n´était pas des meilleures. Et comment fais-tu maintenant ?

- Elle m´a trouvé une collègue. Une jeune, très mignone.

- Veinard !

- Tu crois ?

- Bon, dis-moi : tu viens ou pas ?

- D´accord. Dans une heure ?

- C´est cela. Maintenant je te quitte j´ai du monde qui m´attend.

* * *

Julie est dans la cuisine. Je n´ai pas la moindre idée de ce qu´elle peut bien traficoter. Je décide d´aller prendre un bain et de me raser. J´ai toujours une très grande diffficulté pour entrer dans la baignoire. Je dois d´abord m´asseoir sur le rebord et ensuite, très doucement et avec beaucoup d´efforts, passer les jambes l´une après l´autre.

Il va falloir que je reprenne les exercices. Luc doit être très surpris que je n´aie pas fait appel à ses services depuis un moment. Je sors de la salle de bains, une serviette à la ceinture. À ce moment, Julie vient de la chambre contiguë que j´ai mise à sa disposition, pour se changer et ranger ses affaires.

- Monsieur, vous avez besoin de quelque chose ?

- Julie, d´abord nous allons nous mettre d´accord sur un point. Pas de monsieur, seulement François. Après tout on va vivre un peu ensemble. Non, je n´ai besoin de rien.

Je me suis habitué à me débrouiller tout seul.

Son regard se promène sur mon corps.

- Vous avez eu de la chance. Il n´y a pas de marque visible.

- C´est vrai, j´ai eu de la chance. Je n´ai aucune marque. Sur tout le corps ...

Je fais un geste pour essayer de la fermer mais je m´arrête avant de toucher la poignée.

Julie, elle aussi s´est allongée et endormie. Pendant son sommeil elle s´est découverte. Elle couche nue comme elle est venue au monde. Je reste un moment à la regarder. Elle a vraiment un corps superbe ; plus beau que ce qu´on pourrait imaginer quand elle est habillée. Un air de poupée quand elle dort.

Je me sens si perturbé que j´oublie d´aller aux toilettes et retourne directement dans ma chambre. Je me recouche et m´assoupis de nouveau. Un demi-sommeil plein de visions.

Un cri me réveille. D´autres se font entendre. Je vais jusqu´à la fenêtre et je l´ouvre, me demandant ce qui se passe.

Julie s´est levée et est descendue dans le jardin et, pour son malheur, j´ai oublié de lui parler des chiens. Ils l´encerclent et grognent sourdement d´un air menaçant. De la fenêtre je leur crie :

- Stop ! A ta place. A ta place.

Les chiens entendent ma voix et s´éloignent, regardant toujours Julie d’ un air méfiant.

- Julie, sors de là. Vite.

- Je ... ne peux ... pas.

- Sors de là ! Rentre à la maison !

- Je ne peux pas ! Je descend le plus vite que je peux et je sors dans le jardin. Julie n´a pas bougé d´où elle était. Terrorisée. Je m´interpose entre elle et les chiens. Ils me reconnaissent et se dirigent vers moi.

- Non, non ! Ne les laisse pas s´approcher.

- Calme-toi ! Je suis là, ils ne te feront rien.

Je leur donne l´ordre de se coucher, ce qu´ils font tout de suite.

- Allez Julie, viens avec moi.

Julie tremble des pieds à la tête. Je dois la prendre par le bras et la pousser pour qu´elle bouge. Dès que nous sommes dans la cuisine, elle a une crise de larmes.

- J´ai cru qu´ils allaient me tuer.

- Allez, c´est fini. Allons nous asseoir dans le salon.

- Je ne peux pas.

- Mais si tu peux. Il n´y a plus aucun danger. Allez viens.

Sa réponse me fait rire. Un rire fou, incontrôlable.

- J´ai fait pipi dans ma culotte.

Je reste dans le salon pendant qu´elle monte se laver et se changer. J´ai tant ri que j´en ai mal au ventre. La pauvre, quelle frousse elle a eue. Elle redescend, plus calme mais le visage rouge de honte. Je prends l´air le plus sérieux que je peux, faisant un effort pour ne pas recommencer à rire.

- Tu es folle ? Tu veux te suicider ou quoi ?

- François, s´il-te-plaît. Ne me gronde pas. Quand je me suis réveillée et que j´ai vu que tu dormais, je n´ai pas eu le courage de te réveiller et je suis descendue dans le jardin en attendant. J´aime beaucoup les bêtes et quand je les ai vus si beaux, je me suis approchée pour les caresser. Ils se sont lançés sur moi et m´ont presque dévorée. Je ne m´y attendais pas ...

Elle a de nouveau les larmes aux yeux.

- J´ai tellement honte.

- Bébête. Viens là. Viens à côté de moi.

Elle s´assied, encore toute tremblante. Je passe mon bras autour de ses épaules, dans un geste de réconfort et de protection. Elle se blottit davantage, bien contre moi, me faisant sentir la chaleur de son jeune corps. Nous nous regardons, je prends son menton et je l´embrasse sur la bouche. Sans hésitation, elle écrase ses lèvres contre les miennes.

Troublé, je me lève et je vais jusqu´au bar.

- Et si nous prenions un verre ? Qu´est-ce que tu veux ?

Elle soulève les épaules sans me répondre. Je prépare deux whiskies.

- Bon, je me suis donné le mal de venir jusqu´ici préparer les verres, tu pourrais faire l´effort de venir prendre le tien, tu ne crois pas ?

J´évite, surtout, que nous soyons assis l´un près de l´autre. Je reste derrière le comptoir et lui fais un signe pour qu´elle vienne s´installer sur un tabouret. Un peu déçue, doucement, elle me rejoint. Nous buvons à petites gorgées.

- Santé. A ta venue qui me fait beaucoup de plaisir. Et ... aux chiens.

Julie a son verre à la bouche. Quand elle m´entend, elle suffoque et tousse.

- François. Ne me parle plus de ces ... monstres.

- Eh ! Je ne te permets pas de parler ainsi de mes beaux chiens.

- Je ne l´ai pas dit avec méchanceté.

Je ris, je me penche sur le comptoir et la décoiffe de la main. Lentement, les yeux dans les yeux, nous finissons nos verres. Je fais le tour du bar, je m´approche d´elle et l´embrasse à nouveau.

- Écoute ma jolie. Les chiens ne sont pas méchants. Ils ont été dressés pour être gardiens.

Ils font leur devoir. Ils défendent la propriété qu´ils considèrent comme la leur. Viens, je vais te le démontrer.

- Non, ne m´y oblige pas.

- Je ne t´oblige à rien. Je veux seulement que ça ne se reproduise plus. Il faut qu´ils te connaissent, c´est tout.

Je réussis à la persuader de retourner au jardin. Je lui montre qu´ils m´obéissent au doigt et à l´oeil. Elle est convaincue à présent. Quand je l´emmène avec moi tout près des chiens, elle essaie timidement de les caresser, bien qu´encore un peu apeurée.

Nous faisons ensuite le tour complet de la maison. Au garage, Julie s´amuse comme un enfant. Je viens de trouver une partenaire pour faire quelques parties de billard. Elle se défend assez bien, la môme !

- Ce n´est pas tout, il faut penser au dîner. Je commence à avoir faim.

D´un geste désinvolte et jovial elle me donne le bras.

- D´accord. On y va bowana.

- Bowana ? C´est quoi ça ?

- C´est un grand chef. Je l´ai appris dans un film sur un pays d´Afrique. Je ne me rappelle plus lequel.

C´est le cirque avec elle et le feu dans la cheminée. Les mains, le visage, tout noirs de suie. Même Louis, qui entretemps est venu et qui d´habitude est un homme réservé et plutôt taciturne, rit de bon coeur.

- Monsieur François, vous avez très bien fait d´emmener la petite dame avec vous. C´est ce dont vous avez besoin ; de vous amuser, de rire. Un peu de joie, quoi !

L´autre, elle ne me plaisait pas. Celle-ci, oui. Ça c´est un petit diable qui ne laisse pas une personne s´embêter. Et, vous me pardonnerez, mais celle-ci c´est un morceau de femme.

Il a raison Louis. Julie avec son caractère enjoué, son joli sourire, habillée avec des jeans et un pull serrés qui modèlent son corps, est terriblement sexy.

- Elle parait une de celles qui défilent dans ces trucs de la mode des couturiers.

* * *

- Julie, je crois que tu vas vouloir te laver. Louis et moi, nous allons nous occuper du feu. J´aimerais avoir à table une Julie blanche, pas une importée d´Afrique à la dernière minute.

- J´y vais tout de suite. Oh, ce que je me suis amusée ! C´était drôlement chouette.

Marguerite est arrivée pour donner un coup de main et dresser la table.

- Monsieur François. Ça vous dirait un lapin à la braise ?

- Bien sûr, Louis. Mais à condition que je le paie.

- Pas question. Je l´ai attrapé ce matin à côté du château d´eau. Celui-là est gratuit.


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