Chapitre XI

Jean-Pierre a un attaché-case à la main qu´il pose sur la chaise à côté de moi.

- Adjudant. Emportez la boîte de munitions. Elles sont épuisées.

- Oui, mon ... Oui, Monsieur.

Nous repartons à rire de plus belle. Une soupape d´échappement pour une certaine nervosité.

- Vous voulez me raconter ce qui se passe ? C´est quoi cette histoire d´adjudant ? Vous êtes entrain de jouer une pièce de théatre ou vous avez vu un film de guerre ?

- Oublie, compagnon. Ce n´est rien de grave. Mais dis, qu´est-ce qui t´arrive, pour venir de si bonne heure ? Il est à peine neuf heures.

- Je sais. Mais j´ai une réunion avec des collègues à dix heures. Comme de toutes façons il faut que tu jettes un coup d´oeil à toute cette paperasse ... Pour cela tu n´as pas besoin de moi. Je suis passé seulement pour te la laisser et je m´en vais. Je repasserai cet après-midi.

- Merci, Jean-Pierre. Mais tu sais, je m´en vais à la Vigne après manger.

De plus, il me semble que tu as apporté une tonne de papiers. Je ne suis plus habitué à faire des efforts pareils ; il me faudra davantage de temps. Je t´appellerai, d´accord ?

- Comme tu veux. L´après-midi je serai à la clinique. Tu peux m´y appeler.

Bon, je m´en vais. A plus tard, Monsieur. Avec votre permission. Au revoir ... mon adjudant.

Nous rions, tous les trois. Jean-Pierre ne sais pas trop pourquoi ... mais il suit le mouvement.

Après son départ, je dis à Thérèse d´aller chez elle tout de suite car, compte-tenu du fait que Jean-Pierre a une réunion, nous partons ce matin même. Je pense rester aux alentours d´une semaine. Thérèse, pour sa part, est surprise et ravie.

- Bon, j´y vais. A tout de suite. Tu es sûr que ...

- Allez, va-t´en. Ne perds pas de temps.

Je vais dans ma chambre et mets mes affaires dans un sac de voyage. Sous mes yeux il y a une paire de tennis. Je reste un peu songeur.

Cela fait plus de deux ans que je ne les ai pas mis. Après tout ... je vais les prendre.

Je me demande si je vais pouvoir prendre le sac ? Je pourrai peut-être mais j´hésite.

Non, ce n´est pas le moment de faire des bêtises. Thérèse m´aidera.

Dans le salon, le téléphone sonne. J´y retourne et je décroche.

- Allô ...

- C´est toi ?

- Bonjour, Gilbert. Tu ne reconnais plus ma voix ?

- Bonhomme, je ne sais pas quoi dire. Tu parles d´une surprise quand je suis arrivé au bureau et que j´ai reçu ton message. Il y a une petite révolution par ici. Tout le monde croit que tu vas venir aujourd´hui. Tu viens ?

- Ben ... non, Gilbert. Pas pour l´instant.

- Dis-moi, comment vas-tu ? Ça va bien ? J´ai hâte de te revoir.

- Ça va mieux. Je marche déjà avec une certaine aisance. Toute relative, évidemment.

- Tu sais, tu as choisi un très mauvais moment pour que nous nous voyons. J´ai toute une série de rendez-vous. Et les associés, tous les trois, m´ont fait demander tout à l´heure si nous pouvions nous réunir. Je ne pouvais pas refuser.

- Ça ne fait rien. Nous nous verrons un autre jour. Mais ... la réunion avec les autres … il se passe quelque chose ?

- Je ne sais pas. Nous avons eu quelques divergences d´opinion sur certaines affaires mais rien de grave. Si au moins tu avais été là ...

Laissons ça. Je suis vraiment content de t´entendre.

- Moi aussi, Gilbert, moi aussi. Écoute, demain ou après-demain je te rappelle. Elle me semble un peu ... étrange, cette réunion si subite.

- Comme tu veux. Je te mettrai au courant. Tâche de te remettre en forme, mon vieux.

Nous avons besoin de toi. Surtout moi. Il faut que j´y aille. Je te dis à bientôt.

- À bientôt, Gilbert. On se rappelle.

Après avoir raccroché, je reste pensif, me demandant ce que veulent ces trois-là.

Surtout le dernier qui est entré dans la société. Je le connais assez mal ; il en fait partie depuis ... quatre mois avant l´accident. Nous n´avons pas eu beaucoup de contacts mais, d´instinct, il ne me plaît pas. Les deux autres y sont depuis trois ans.

Mais les affaires sont les affaires et il n´y a pas de place pour les sentiments personnels.

En raison de l´expansion que nous prenions, nous avions besoin de capitaux frais, donc, nous avons pris des associés. C´est tout. Cela dit, je ne leur fais aucune confiance. Je sais pertinemment que s´ils peuvent me mettre des bâtons dans les roues ils le feront sans hésiter. Il y a une sorte de jalousie, de leur part, à mon égard.

L´ambiance n´est plus ce qu´elle était quand j´ai crée le journal avec Gilbert, cela fait déjà huit ans.

* * *

Thérèse a fait vite, elle est déjà de retour. Je la regarde en me demandant quel genre de femme elle est vraiment. Deux facettes si différentes l´une de l´autre qui se révèlent à mesure que le temps passe. La professionnelle efficace, et l´autre, que d´ailleurs je n´arrive pas très bien à définir, qui sont presque antagoniques.

Elle a déjà pris mes affaires dans ma chambre et nous partons. Je lui dis de passer par ma banque et coup de chance, au moment où nous arrivons, il y a une voiture qui s´en va nous laissant une place libre pour nous garer.

Dans la banque, après un moment de surprise, les employés me reconnaissent et me saluent. Derrière sa cage vitrée le gérant me voit et vient jusqu´au comptoir m´inviter à venir dans son cabinet.

Là, il commence par s´excuser de ne pas avoir eu l´occasion de venir me rendre visite à la clinique, mais le travail ... il en a tellement, il n´a pas un seul instant de libre. Ajouté à cela, on l´avait informé que je ne recevais pas de visite ...

Je lui demande s´il est possible de faire établir un extrait de compte des deux dernières années. Oui, c´est possible mais cela va prendre un peu de temps. Si je veux, il peut me faire donner de suite le solde.

- Soyez gentil, faites établir un extrait. Je veux savoir à quel point j´en suis. Et comme je veux retirer un peu d´argent ...

- Monsieur, pour cela vous n´avez besoin d´aucun extrait ou solde. Combien voulez-vous retirer ?

- J´aimerai vérifier l´extrait d´abord.

- Comme vous voulez. Je vous le fais apporter immédiatement.

Il s´en va et je le vois parler avec un employé. Vingt minutes plus tard, l´extrait demandé m´est remis. Je le regarde. Il va falloir que je passe chez l´ophtalmologiste ! Je vois de plus en plus mal, c´est vrai, assez néamoins pour rester vraiment surpris avec les chiffres que j´ai sous les yeux. À première vue le compte n´a pratiquement pas bougé.

Ce n´est pas possible que j´aie tout cet argent. Il doit y avoir une erreur. Je lui demande s´il est vraiment correct ; il me le confirme, c´est bien cela.

Je ne comprends pas. Il faut que je vérifie tout ça attentivement. Je fais mon retrait et avec ses voeux de bon rétablissement, nous nous disons au revoir. Je retourne à la voiture. Thérèse met le moteur en marche et nous partons.

Nous avons passé cinq jours formidables. Nous avons bien mangé ; nous nous sommes promenés, nous avons joué aux échecs, aux cartes.

Thérèse a été ravie de faire du tir et, je dois avouer, avec une habileté surprenante pour une débutante. Moi, je n´ai pas osé. En revanche, j´ai joué avec les chiens, modérément, ça va de soi. J´ai aussi lu un peu, pendant que Thérèse, a feuilleté les livres de la bibliothèque et aidé Louis à s´occuper du jardin. D´ailleurs il est venu avec sa femme, tous les jours. Ça s´est vraiment bien passé.


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