CHAPITRE X

Nous avons roulé, doucement, par des routes secondaires. Quelle chance cette année avec le temps ; une température très agréable, des jours ensoleillés.

Ça me va comme un gant ; je me sens beaucoup mieux. Il est vrai qu'à présent je marche avec beaucoup plus d´aisance, néanmoins je continue à souffrir de douleurs, parfois très fortes, mais moins souvent quand même. Ce beau temps m´aide beaucoup.

Luc m'avait averti que ça se passerai ainsi, que j'aurai plus de facilité à me déplacer mais qu´elles me tenailleraient toujours. Lors des changements de temps.

Que je ne devrais pas arrêter, à aucun prix, les massages et les exercices. Mais ça fait tellement longtemps. J'en ai assez !

Quand nous sommes arrivés, j'ai demandé à Thérèse d'aller chercher les clés de la maison, à la ferme en face. Il n'y a que la route qui nous sépare ; les autres maisons sont à plus de trois cent mètres.

Des gens de la ville qui, en général, ne viennent que les week-end et quelques fois pendant la saison estivale.

J'ai acheté cette maison par hasard. Un coup de chance. Les propriétaires avaient publié une annonce dans notre journal et, en faisant une vérification à la sortie de l'imprimerie, je l'ai remarquée.

- À vendre. Ferme avec maison ancienne complètement remodelée. Urgent.

- J'ai demandé à Chantal, ma secrétaire, de rechercher l'annonceur et dès qu´elle m´a eu transmis ses coordonnées, je l'ai appelé et nous nous sommes donné rendez-vous, le jour même, pour la visiter. Aussitôt que je l'ai vue, j´en suis tombé amoureux.

L'endroit est d'une tranquillité absolue ; des champs de maïs tout autour. Le remodelage de la maison était vraiment une affabulation, une fantaisie du vendeur ; elle avait, de toute urgence, besoin de travaux et en profondeur.

À l'origine la maison appartenait à un parlementaire, qui l'avait héritée d'un parent. Il n'y a jamais vécu. Il ne l'utilisait que de temps à autre pour recevoir des amis, pour faire des barbecues. Du théâtre campagnard, de la politique-maison en sous main. Ça s'arrêtait là.

Il est mort subitement d´une crise cardiaque. Classique. Les héritiers, ses fils, n'étaient nullement intéressés par la vieille bicoque et ont donc décidé de la vendre. J'ai appris tout cela le lendemain lorsque j'y suis retourné pour discuter avec le propriétaire de la ferme d'en face, Louis, afin d´obtenir quelques renseignements complémentaires.

Un peu réservé au début, ce cher Louis. Plus tard, avec le temps, quand il a vu que je venais assez fréquemment et mettais du coeur à la réparer et l´embellir, nous sommes devenus des copains.

C'est vrai que j'ai dépensé du temps et de pas mal d´argent, pour la restaurer et la décorer à mon goût. J'y ai même vécu quelque temps.

C'était une ancienne ferme, on le remarque tout de suite. Annexé à la maison mais avec un passage direct, il y a un ancien garage où, autrefois, d´après les dires de Louis, étaient entreposées des machines agricoles. Le temps par ici, nous sommes dans une plaine, est fréquemment venteux mais il ne pleut pas souvent. Heureusement, car je déteste la pluie ; ça me met mal à l´aise, je suis presqu´angoissé.

Dans celui-ci j´ai installé une salle de jeux, avec un billard, des fléchettes et autres divertissements. Une grande table, des chaises. Bref, toute meublée. Il y a aussi un petit stand de tir, qui en réalité n'est pas si petit, avec une armoire pour les accessoires, les munitions et tout le nécéssaire.

Je crois avoir fait du bon travail. C´est un espace agréable. Les amis l'apprécient.

Dans la maison elle-même, il y a une grande pièce divisée, d'une part en salle à manger avec une table de ferme, pouvant accueillir une vingtaine de personnes et, d'autre part, une salle de séjour équipée d'un bar, d´un coin télé, d´une bibliothèque et, ce qui me procure le plus grand plaisir, d´une cheminée. A l'ancienne, énorme. Elle est d'origine et je l´ai seulement fait nettoyer et gainer de nouvelles briques réfractaires.

D'un côté, il y a une réserve de bois et de charbon, de l'autre, un banc, lui aussi en briques. C 'est là que je m'assieds pour faire des brochettes au feu de bois. C´est un petit plaisir qui me rend heureux.

Au centre de la pièce, un double escalier de bois mène au premier étage, qui a dû être entièrement refait. Il était mal divisé et ne possédait pas de toilettes. Maintenant, y sont aménagées quatre chambres séparées par un couloir central, deux salles de bain et deux autres pièces converties en bureau.

J'ai choisi pour moi une chambre à l'arrière qui donne sur les champs. Quand il fait beau le matin, j'ouvre la fenêtre. L 'air pur, le maïs ondulant sous le vent ... ça vous met du baume au coeur.

En bas, côté jardin, il y a la cuisine, immense, des toilettes, un débarras et la chaufferie.

Dehors, sous un petit hangar que j'ai fait bâtir, se trouve un petit groupe électrogène. Ce n'est pas très fréquent, mais il y a parfois des pannes d'électricité, sans que l'on sache vraiment pourquoi.

Ah, j'oubliais, derrière la maison, dans le jardin, un étang sert de piscine à l´occasion.

Du gazon, des fleurs, quelques arbres fruitiers et d´agrément.

Le court de tennis que je voulais faire bâtir, pour une raison ou pour une autre, est resté à l'état de projet.

Lorsque j'ai acheté la propriété, le terrain était bien plus grand. Terrain de culture, verger, potager. La majeure partie je l´ai vendue à Louis qui en tire bien meilleur profit que moi ! Je dois avouer qu'en agriculture, je suis d'une nullité absolue. Je n'ai gardé pour moi que quatre mille mètres carrés. C'est un autre agriculteur du pays qui a acheté le restant.

À Louis, j´ai vendu à des conditions très avantageuses, pour lui ; il me paye presque comme il veut, ou plutôt comme il peut, en général au moment des récoltes lorsqu´il a des rentrées d'argent. Il me remercie sans trop savoir comment le manifester ; à sa manière.

C'est un homme de la campagne, réservé, qui ne parle pas beaucoup.

Il m'apporte des pommes de terre, des salades, des tomates - que d'ailleurs je déteste - des oignons et Dieu sait quoi ! Il s'occupe du jardin, du gazon, des chiens. De tout en somme. Ah oui ! Les chiens, mes amis et gardiens dévoués, jusqu'à se laisser mourir pour moi. Quatre formidables bergers allemands, quatre frères de la même portée.

Mais voilà Thérèse qui revient avec Marguerite, la femme de Louis. C'est une femme adorable. Beaucoup plus loquace que son mari, bien qu´elle soit un peu timide parfois.

Toujours prête à rendre service, à s'occuper de la maison, à nettoyer, à laver. Elle fait des petits plats qui me plaisent, m'invite fréquemment à manger chez eux.

Je lui ai demandé une fois pourquoi elle ne venait pas plus souvent chez moi, préparer ses délicieux petits plats ; elle m´a répondu qu'elle préférait les faire chez elle parce que j'avais une maison si belle que ça l'embêtait de la salir ! Un coeur en or cette femme.

Ce qui lui fait vraiment plaisir, c'est que je les invite à venir chez moi regarder la télé.

C 'est vrai qu'ils n'ont qu'un vieux téléviseur noir et blanc et, d'après elle, on voit bien mieux sur le mien. Là, elle a raison. Et ... une coupe de champagne. Eh oui, elle adore cela. Après tout, la simplicité n'empêche pas le bon goût, n'est-ce pas ?

Louis, non. Ce n´est pas son truc. Il reste au bon vieux rouge ; la boisson d'un homme, comme il a l´habitude de dire.

- Monsieur François ! Le Bon Dieu soit loué ; vous êtes de retour. Vous n'imaginez pas ce que vous nous avez manqué.

Ce que j'ai prié pour vous ! Il m'a écoutée. Mais ce qu'il est maigre, le pauvre ! Et si blanc !

Puis se retournant vers Thérèse :

- Il est si gentil ! Si tout le monde était comme lui. Même mon homme, qui n'est pas du genre à se faire des amis, combien de fois il me parle de Monsieur François : comment va-t-il ? quand est-ce qu'il viendra ? Pensez qu'il a même appelé chez lui, je ne sais pas combien de fois, mais personne ne répondait. Quelle joie il va avoir quand il arrivera ! Il est allé au marché acheter du compost. Ah ! mademoiselle, soignez-le bien. Il le mérite tant.

Ce cher homme a les bras chargés. Des salades, des oeufs, des pommes de terre, des côtes magnifiques. Un fromage, piquant. Il sait que j'adore ce fromage. Un véritable petit banquet !

- Marguerite va apporter la soupe. Elle est entrain de la finir.

- Mais ... qu'est-ce que tout cela, Louis ?

- Allez, allez. Il faut que vous mangiez. Je vous vois trop faiblard. Quand on ne s'occupe pas de l'estomac ... le reste ne va pas.

- D'accord. Mais il faut y aller doucement ; je ne peux pas tout faire à la fois. De toutes façons, merci beaucoup.

- Vous savez bien que vous n'avez pas à me remercier. Bon, le feu est prêt. Pendant que mademoiselle s'occupe de la viande et des patates - vous allez faire des pommes de terre sous la cendre, non ? - je vais laver et préparer la salade.

- La tomate ...

- Je sais, je sais. Je ne l'ai pas oublié. Pour vous, pas de tomate. Je la mettrai à part.

Pendant qu'il est dans la cuisine, Thérèse se prépare à faire griller la viande.

- François, comment je fais pour les pommes de terre ?

- Tu les mets sur les cendres. Quand elles sont presque prêtes tu mets la viande sur le gril. Il y en a un, là du côté gauche. Il doit y avoir aussi une grande fourchette, avec un manche en bois, pour la retourner.

- Je ne vois rien. Je demanderai à monsieur Louis ; il doit savoir où ça se trouve.

Justement voilà ce cher homme qui vient de la cuisine et s´approche de nous.

- La salade est prête ; mademoiselle l'assaisonnera après, à son goût. Vous avez déjà mis les pommes de terre ? Bon, bon, elles prennent toujours plus de temps ...

- Monsieur Louis, vous savez où se trouve le gril et la fourchette ?

- Mademoiselle, pas de monsieur entre nous, s´il vous plaît. Appelez-moi Louis.

- D'accord, si vous voulez. Mais alors pas de mademoiselle non plus. Je m'appelle Thérèse. Pour le gril ...?

- Écoutez, mademoiselle, je ...

- Attention. Nous venons de nous mettre d'accord ; pas de monsieur, pas de mademoiselle.

- Excusez-moi. Je ne suis pas encore habitué. Le gril ? ... Il devrait être là. Vous êtes sûre qu'il n'y est pas ?

- J'ai cherché mais je ne l'ai pas vu.

Louis cherche à son tour et ne trouve pas non plus.

- Je vais demander à ma femme. De temps en temps elle vient par ici, donner un petit coup de balai et voir si tout est en ordre ...

Thérèse regarde attentivement les pommes de terre, le visage rougi par la chaleur du feu. Je vois qu'elle est sous le charme, qu'elle s'amuse.

- Comment vont les pommes de terre ?

- Ben ... je ne sais pas. C'est la première fois que je fais ça. Dans une cheminée, je veux dire.

Je ne peux m'empêcher de rire.

- Que veux-tu ? J'ai toujours vécu en ville, dit-elle d’un air de petite fille qui s'excuse.

- Et alors ? On apprend toujours. Et tu sais quoi ? Il faudra t'y mettre car j'ai l'impression que nous allons revenir très souvent.

- C'est vrai ? J'aimerais tant ...

Louis et Marguerite, pénétrent dans le salon. Celle-ci porte une casserole qui fume encore.

- Monsieur François, la soupe est prête. Je sais que vous l´aimerez, mais mademoiselle ... voyons ce qu'elle en dit.

- Je suis sûre qu'elle me plaira. Mmmm ... qu'elle sent bon !

- Je vais la mettre à côté du feu pour qu'elle reste bien chaude. Mademoiselle pourra mettre la table pendant que mon Louis s'occupe de la viande. Ainsi vous ne vous salirez pas et mangerez chaud.

- Madame, je peux m'occuper des côtes. Si je me salis, tant pis, je me laverai ; en plus je ne sais pas où se trouvent les choses.

- Laissez ; Louis, grillera la viande. Venez que je vous montre où sont rangés les nappes et les couverts. Et, mademoiselle, appelez-moi seulement Marguerite.

- Je lui ai déjà dit de m'appeler Louis, marmonne son mari penché sur les braises.

- On y va ? Tout est dans la cuisine. Il n'y a que les verres ici. Dans le bar.

Je ne sais pas pourquoi Marguerite a dit le bar. Elle a l'habitude de l'appeler le comptoir. Des changements ... Tout est prêt. Je leur demande de rester manger avec nous.

Ils ne veulent pas mais sur mon insistance, et celle de Thérèse, ils finissent par accepter.

Nous mangeons tous avec appétit. Tout est délicieux. Même la tomate, semble-t-il …

À la fin du repas, Thérèse me demande si je ne veux pas aller faire un tour au jardin.

- Allez-y, Monsieur François, dit Louis. Marguerite fera la vaisselle. C'est sûr que les chiens ont senti que vous étiez là. - Louis, vous vous rendez compte que je les avais oubliés !

- Les oublier ?

Vous qui étiez toujours avec eux. Même trop. Ce que vous avez changé !

Il va falloir rester un bout de temps par là, je vous le dis. Redevenir ce que vous étiez.

Nous sortons dans le jardin. Ce qu'il est beau ! Louis et Marguerite ont fait du bon travail. On voit qu'ils se sont donné de la peine, comme s'il leur appartenait. Thérèse prend mon bras.

- C´est magnifique ! Tu es content d'être venu ?

Je lui réponds oui de la tête. C´est vrai que mes bons voisins ont fait du bon travail. J´y reconnais la main de Marguerite. Elle a la main " verte ", comme on dit.


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